À partir d’une exploitation classique du Nord Mayenne avec quatre associés sur 150 ha, un troupeau laitier à 9 000 litres de lait, une production de 800 000 litres/an, un atelier taurillons et un élevage porcin naisseur engraisseur (100 truies), le Gaec du Bois Salmon a pris un virage à 180° vers un système herbager économe largement inspiré du modèle néo-zélandais .
Cette décision est d’abord liée au départ à la retraite de deux associés fin 2014. Dans la foulée, les deux associés restants et un salarié à mi-temps vont subir la crise du lait de 2015, dans un contexte également peu favorable au porc qui ne permettait pas de miser sur la main-d’œuvre salariée. « Techniquement cela tournait bien, mais tout était saturé, surtout les hommes. Compte tenu du coût de production malgré le travail fourni, notre revenu était très insuffisant », se souviennent Laurent Gourdelier et Dominique Collet. Fin 2015, une journée animée par la société PâtureSens apporte les premières pistes de réflexion autour d’une idée simple : améliorer la maîtrise des charges via l’optimisation du pâturage.
Intégration de la génétique kiwi dès 2016
S’ils peuvent compter sur des sols limoneux profonds favorables à la pousse de l’herbe, les deux associés étaient en revanche bloqués par une contrainte structurelle : l’éclatement du parcellaire sur 3 sites. La transition se fera donc par étapes. Elle commence par le pâturage des génisses, puis des vaches laitières sur 20 ha d’herbe divisés en 40 paddocks. Dans le même temps, à partir de 2016, Laurent et Dominique vont intégrer la génétique néo-zélandaise. Ils inséminent (IPE) avec des doses jersiaises sexées du schéma de sélection LIC, tout en décalant des vaches pour ne garder que deux périodes de vêlage, au printemps (60 %) et à l’automne.
Le déclic vers une conversion plus radicale naîtra d’un voyage au Pays de Galles en 2019, organisé par PâtureSens.
« J’y ai rencontré des éleveurs qui gagnent mieux leur vie, en travaillant moins, malgré un lait payé au cours mondial, grâce à un système pâturant intensif, générant une productivité de l’ordre de 15 000 litres/ha », explique Laurent. C’est finalement fin 2019 que, grâce à des échanges de parcelles, ils vont pouvoir envisager d’aller au bout de la démarche.
Nécessité d’une bonne productivité horaire du travail
L’opportunité de créer un bloc de 53 ha dédié au pâturage des laitières est le point de départ d’une profonde modification du système. Exit les taurillons et les truies gestantes, seul est conservé l’engraissement des porcs charcutiers. Qu’importe si cet îlot est éloigné du siège d’exploitation. Laurent et Dominique vont concevoir le projet d’un nouveau complexe de traite au cœur de ces parcelles qui, dès l’automne 2020, seront toutes converties en prairies : un mélange de RGA (diploïdes et tétraploïdes) et de TB (à grandes et à petites feuilles) + un peu de TV pour la productivité en première année, implanté sous couvert de méteil. « Notre objectif est de maintenir une production de 750 000 litres de lait/an, en doublant la taille du troupeau jusqu’à 150 vaches kiwi à 5 000 litres conduites au pâturage et en vêlages de printemps, pour gagner notre vie en travaillant moins. »
Arrêt de la traite pendant six semaines en hiver
Étude économique, budget partiel, les éleveurs montent leur dossier, en se faisant accompagner par Guillaume Baloche de PâtureSens. Sur trois banques sollicitées, une acceptera de financer un projet de 400 000 € : il comprend un bâtiment avec une salle de traite 2 x 22 (achetée d’occasion) équipée d’un distributeur de concentré, mais aussi un espace réservé aux soins et à la distribution de fourrage complémentaire. « Maintenir le chiffre d’affaires avec plus d’animaux implique une bonne productivité horaire du travail, avec des équipements conçus pour traire vite et des aménagements en sortie de traite prévus pour la contention et les soins. Car en saison de pâturage, lorsque l’on compte 15 vaches en chaleur par jour, il faut pouvoir les trier facilement. »
Le projet inclut par ailleurs toutes les infrastructures nécessaires à la valorisation de l’herbe : chemins, clôtures, quad, achat d’une trentaine de petites génisses kiwi… que la vente d’un tracteur et d’une mélangeuse automotrice contribuera également à financer.
La conversion bio est enclenchée à la même période (fin 2020), quand le Gaec a quitté Sodiaal pour la fromagerie Vaubernier. Pour caler 100 % des vêlages au printemps, la lactation des vaches ayant vêlé à l’automne sera prolongée pour durer dix-huit mois. « Lors de cette phase de transition, les vaches holsteins qui représentent encore un tiers du troupeau ont permis de maintenir le volume de lait. Mais dans cinq ans, l’objectif est d’avoir un troupeau 100 % kiwi. » Ce décalage va permettre de programmer l’arrêt de la traite hivernale pour une durée de six semaines dès 2022. Dans ce système, les vaches sont donc taries mi-décembre. Elles sont logées dans les anciens bâtiments, avec une alimentation à base d’enrubannage et de foin. Puis, les vêlages démarrent mi-février, en même temps que la mise à l’herbe sur le nouveau site. Lors du déprimage, l’herbe disponible assure jusqu’à 50 % de la ration, complétée par de l’enrubannage. Pendant les quatre-vingt-dix premiers jours de lactation seulement, les vaches ont aussi un apport de concentré en salle de traite. Du maïs épis récolté et mis en bouchon par DéshyOuest (130 €/t).
Le bon cyclage est la clé du système
Ainsi, la courbe de lactation doit épouser l’évolution de la pousse de l’herbe. Les 53 ha de prairies sont divisés en 32 paddocks sur lesquels les vaches tournent toutes les 24 heures. Les temps de présence et le débrayage des paddocks pour la fauche sont ajustés en fonction des mesures réalisées au moins une fois par semaine à l’herbomètre.

Parallèlement, la mise à la reproduction démarre le 10 avril : les 100 premières vaches en chaleur sont inséminées avec des doses sexées, selon une alternance frison x jersiais. Les saillies sont ensuite assurées par des taureaux hereford ou angus mis dans le troupeau jusqu’au 20 juillet. Des échographies sont réalisées 35 jours après l’IA, puis tous les 15 jours. Le taux de gestation après 10 semaines s’élève à 90 %. Ici, pas de cas par cas, les femelles vides début septembre sont réformées. La reproduction des génisses est aussi assurée par saillies naturelles dès 13 mois, en vue d’un âge au 1er vêlage de 22 à 24 mois. « Les croisements avec ces races à viande ne sont pas une source de plus-value, admet Laurent. Mais les vêlages sont faciles, sans complications, avec des veaux hypertoniques. Cela permet de ne pas passer trop de temps aux soins et garantit le bon cyclage qui est la clé du système. » Sur ce modèle, les éleveurs avaient livré fin juin 470 000 litres de lait. Cet été, pendant l’arrêt de la pousse d’herbe d’environ un mois, le troupeau est resté dans une parcelle parking avec de l’enrubannage distribué au champ. Au terme de l’année civile, 740 000 litres de lait ont été livrés conformément aux objectifs, avec un volume d’herbe valorisé au pâturage de plus de 9 t de MS/ha et 470 kg de concentré/vache. Les 10 ha de maïs épi et 20 ha de TV enrubanné contribuent à sécuriser l’autonomie d’un système où 150 laitières pâturent sur 53 ha, c’est-à-dire un chargement élevé de 2,8 UGB/ha.
« Il est encore trop tôt pour faire un bilan financier représentatif, souligne Laurent. La clôture 2023 sera un vrai révélateur économique du système. Ce qui est sûr, c’est que la trésorerie est confortée et que l’objectif de réduire le temps de travail est déjà atteint. Nous sommes venus à ce système par obligation financière et aujourd’hui je ne reviendrai pas en arrière. Certes, il ne faut pas compter prendre un week-end pendant la saison de vêlage. Mais nous avons pu prendre quatre semaines de vacances à la Toussaint et à Noël. Le changement de la vie de famille est flagrant, mon épouse et mes trois enfants ont déjà vu l’évolution de mon moral. »