SYLVAIN CHEVALIER S'EST INSTALLÉ À VINGT-DEUX ANS, BTS ACSE en poche, sans trop se poser de questions. Il n'a jamais imaginé faire autre chose que du lait. Fils unique, il lui était relativement facile de reprendre le flambeau. Et puis, en Charente-Maritime, les quotas ne sont pas un frein. Les exploitations laitières ont donc des perspectives de croissance. Mais la plupart des jeunes qui se lancent sur des exploitations mixtes n'envisagent pas de poursuivre l'élevage après le départ à la retraite de leurs parents. Ils ont suffisamment de surface pour vivre des céréales.
AMÉNAGER L'EXISTANT
Cette piste n'est pas possible pour Sylvain qui n'a que 90 ha labourables en sols hétérogènes et 30 ha seulement exploitables par des animaux. Mais il n'empêche que cet environnement a pesé sur ses choix quand il s'est installé. Son père, Bruno, prendra sa retraite d'ici à trois ans. À cause des incertitudes quant à la conjoncture laitière, mais aussi par tempérament, Sylvain est resté prudent. « Mes parents avaient un quota de 400 000 l. En m'installant, je savais que j'aurai 200 000 l supplémentaires. Le bâtiment n'était pas adapté et il fallait faire la mise aux normes », raconte Sylvain. Très vite, l'idée d'aménager l'existant s'est imposée. Sachant que le village, situé à moins de 100 m, impose ses contraintes.
Le bâtiment abritait cinquante vaches sur une aire paillée, les génisses, la paille, le foin et le matériel. Les éleveurs n'y ont gardé que les animaux, laissant le reste dehors. En 2004, la mère de Sylvain, Anne-Marie, a été victime d'un accident qui l'a rendue indisponible durant plusieurs mois. Les travaux d'adaptation du bâtiment ont été retardés. Ils ont débuté en 2005 avec l'aménagement de l'aire d'exercice et la fumière. La lagune et un nouveau silo ont suivi en 2006. En 2007, la salle de traite a été rénovée pour passer de 2 x 4 à 2 x 6. En 2008, les éleveurs ont investi dans deux nouveaux hangars pour stocker le matériel et les fourrages. L'investissement se monte à 100 000 € pour la mise aux normes. Ceci comprend la couverture de l'aire d'exercice (26 000 €), le silo pour l'ensilage d'herbe (25 000 €) et la lagune (22 000 €). S'y ajoutent les cornadis pour les vaches. L'agrandissement de la salle de traite a coûté 15 000 €. Enfin, la construction des hangars se monte à 70 000 €.
« Au début, pour faire des économies, on a réalisé une grosse partie des travaux nous-mêmes, notamment les bétons. Mais on a vite abandonné car cela nous empêchait de suivre les animaux correctement », souligne Sylvain. Il fallait mener de front la croissance du troupeau permise par les litrages supplémentaires. Ceux-ci ont dépassé les prévisions et entre 2002 et 2008, le quota est passé de 400 000 l à 700 000 l. Le nombre de vaches a suivi, 52 à 80. Cette montée en puissance a été réalisée sans achat. L'élevage a la chance de voir naître plus de femelles que de mâles. Et les vieilles vaches ont été conservées. Cette stratégie s'est révélée efficace, mais elle a son revers.
« À partir de la troisième ou de la quatrième lactation, les frais vétérinaires augmentent. Le manque de suivi a peut-être joué aussi. On a eu plusieurs césariennes et des fièvres de lait qui nous ont coûté une hausse de ces frais équivalente à 13 €/1 000 l en 2006 », précise Sylvain. Et les comptages cellulaires ont tendance à déraper. Même si Christophe Mauger, de la chambre d'agriculture, souligne que sur ce plan, la maîtrise est ici meilleure que dans les élevages de la région qui connaissent une croissance rapide. Le manque à gagner est néanmoins évalué à 3 800 € en 2008.
Ce problème devrait s'améliorer avec la stabilisation de l'effectif. Aujourd'hui, les éleveurs cherchent à rajeunir le troupeau. Le nombre élevé de génisses permet de trier. Et puis Sylvain est heureux de voir que les chantiers de construction se terminent, ce qui lui laisse plus de temps pour soigner les animaux. Il reste cependant quelques travaux définition et d'aménagement des abords.
La croissance de la production, mais aussi la volonté de Sylvain ont poussé à une évolution du système fourrager. L'exploitation a adopté le zéro pâturage depuis des dizaines d'années, mais le jeune éleveur a voulu mettre ses vaches à l'herbe. Une idée surprenante pour Bruno, qui a observé ces changements avec étonnement. « En élevage, on a besoin d'une autonomie fourragère. L'irrigation du maïs nousassure le remplissage des silos. Avec l'herbe, c'est beaucoup plus aléatoire », remarque-t-il. Cet état d'esprit domine également chez Sylvain. L'achat de fourrages est trop onéreux, la surface doit donc d'abord servir à produire les stocks pour sécuriser l'alimentation du troupeau. Mais, même si les prairies charentaises sont desséchées de juin à septembre, Sylvain y trouve un intérêt.
MOINS DE TRAVAIL ET DE CELLULES AVEC L'HERBE
Bruno n'avait jamais fait pâturer ses vaches, mais il avait créé 5 ha de parcours en 2000. « On avait des problèmes de boiteries et de cellules. Cela leur faisait du bien de sortir. » Ces difficultés se sont accrues après l'installation de Sylvain, dans un bâtiment saturé. « Je me suis interrogé sur le pâturage pour des raisons d'abord sanitaires », explique Sylvain. Mais les 35 ha irrigués de l'exploitation se trouvaient à proximité des bâtiments, là où les pâtures avaient leur place. Les prairies existantes sont plus éloignées. Elles sont fauchées ou valorisées par les génisses. En 2006, il a pu reprendre 10 ha de terres à maïs, dont 7 irrigables, à 1 km. « J'ai pu déplacer une partie du maïs là-bas, et j'ai semé 6,5 ha de prairie à côté du bâtiment, un mélange de fétuque (15 kg), RGA (5 kg) et trèfle blanc (5 kg). » La fétuque se justifie pour améliorer la portance.
APPRENDRE À GÉRER L'HERBE
Semée à l'automne 2006, cette pâture a été fauchée au printemps. « On avait peur que les vaches l'abîment ! », sourient les éleveurs. Puis, ils ont mis le troupeau sur les 11 ha de repousse. Sylvain a vite compris qu'il devait apprendre à gérer l'herbe. Il a rejoint un groupe d'éleveurs qui relancent le pâturage. En 2008, il a divisé la surface en cinq paddocks. Les vaches y ont tourné du 1er avril au 10 juillet. La ration distribuée a été réduite de moitié.
« J'ai un peu surestimé la valeur de l'herbe, explique Sylvain. De plus, le niveau d'étable plafonnait durant toute la première partie de l'année. Pendant ces trois mois à l'herbe, il était à 1 000 kg en dessous du niveau habituel. » Sylvain a d'abord pensé que la qualité des fourrages était en cause. Mais le niveau d'étable a retrouvé ces 1 000 kg depuis qu'il a déparasité les vaches en août. Cette année, la ration a été réduite de 20 % environ après la mise à l'herbe mi-mars. « On économise1 kg de soja/vache/jour et le niveau d'étable se tient », constate Sylvain.
Satisfait de cette première expérience, il a implanté 4 ha d'un mélange luzerne- dactyle. « Je voudrais prolonger la saison de pâturage. La luzerne répond bien à l'irrigation. On l'arrosera si on peut le faire sans pénaliser le maïs », explique-t-il. 80 mm d'eau permettent de produire 4 t de MS de luzerne. Sylvain compte sur ces prairies pour relever la production d'été. La laiterie l'encourage, et vingt-cinq vêlages sont prévus en juin cette année.
En outre, il veut revenir à un niveau de production par vache plus élevé. Rappelons que l'élevage est situé tout près du village. Il a bénéficié d'une dérogation pour aménager le bâtiment et augmenter la capacité de production. Mais il est limité à l'effectif actuel. L'objectif est donc de produire un maximum de lait avec ce troupeau. En 2008, l'exploitation a vendu 7 415 l/vache contre 8 200 en 2007. Sylvain espère produire 40 000 l de plus cette année, en valorisant mieux la ration.
Le retour au pâturage présente un autre avantage essentiel pour les éleveurs : « Quand les vaches sortent, on ferme l'aire paillée et cela réduit considérablement la charge de travail ». Les vaches restent désormais dehors pendant six mois, tout en s'alimentant à l'auge. Six mois pendant lesquels il n'est plus nécessaire de curer l'aire paillée, une contrainte quotidienne en hiver. Les éleveurs ont adopté cette pratique exigeante pour lutter contre les cellules. Mais en été, ils doivent aussi s'occuper de l'irrigation, une autre tâche gourmande en temps. « Aujourd'hui, le travail est trop important pour que l'un de nous se libère régulièrement le weekend, » souligne Sylvain.
RÉDUIRE LA CHARGE DE TRAVAIL
On le voit, la main-d'oeuvre représente un enjeu crucial pour cette exploitation. « On a aménagé le bâtiment à moindre coût mais en contrepartie, il reste beaucoup de travail », analyse Sylvain. De même, le matériel nécessaire aux cultures était important lors de l'installation de Sylvain. Il a été entretenu ou renouvelé depuis. Les éleveurs ont ponctuellement beaucoup à faire dans les champs. Ils reconnaissent volontiers qu'ils sont parfois proches de la saturation. Anne Marie participe un peu de même que des stagiaires, soit l'équivalent de 0,6 UMO. Pour atténuer un peu cette charge, la stratégie d'équipement a commencé à évoluer. Il y a deux ans, le pulvérisateur n'a pas été remplacé. C'est désormais une entreprise qui fait les traitements. La délégation semble intéressante à Sylvain, mais il la trouve délicate pour certains travaux. Il préfère se charger des récoltes d'herbe, par exemple, pour faucher au meilleur moment. « On a la chance d'être quatre éleveurs dans un rayon de 2 km et on s'entraide pour l'ensilage. »
Mais la question de la main-d'oeuvre disponible va vraiment se poser dans trois ans, lorsque Bruno prendra sa retraite. Sylvain explore trois pistes. La première vise à trouver un nouvel associé. « Dans ce cas, il faudrait repartir sur un nouveau projet pour se donner des perspectives de croissance et rationaliser le travail. » C'est aussi dans cette optique qu'il a limité les investissements à l'installation. Cela permettra plus facilement de repartir sur un projet neuf en commun, à l'écart du village. « Ici, l'obtention du litrage n'est pas un problème. Quand on investit, on sait que l'on va amortir sur le volume » Mais Sylvain ne croit pas vraiment qu'il trouvera un associé dans cette région où les volontaires pour traire se font rares. Pourtant, cela lui plairait bien.
L'embauche d'un salarié est une autre piste. Mais il reste deux jours chaque semaine et les périodes de congé durant lesquels Sylvain serait seul. Des équipements s'imposeraient, toujours pour simplifier le travail, mais aussi pour respecter les règles spécifiques à l'emploi d'un salarié. En outre, Sylvain supporterait seul les responsabilités et il évalue à 200 000 l le volume de lait à vendre pour couvrir le coût d'un salarié. Cette solution n'est donc pas la panacée.
Reste la piste d'une réduction de la production, pour l'adapter à la capacité de travail de Sylvain. Il pourrait sous-traiter davantage à l'ETA et utiliser le service de remplacement pour disposer de temps libre. La limitation des investissements de départ permet de le faire. Cette option est dans le droit fil de la tendance au recul du lait dans les zones céréalières. C'est la voie qui lui semble la plus réaliste aujourd'hui.
PASCALE LE CANN
La mise aux normes a été réalisée en agrandissant l'aire paillée et en construisant une fumière. Dans un premier temps, les fourrages et le matériel ont été stockés dehors. PHOTOS © DANIEL MAR
Pour faciliter le pâturage, un chemin d'exploitation et un réseau d'eau ont été aménagés.
Les génisses pâturent les prairies permanentes éloignées du siège de l'exploitation.
Le père et le fils ne sont pas toujours d'accord mais il existe une réelle complicité entre eux.
La salle de traite a été rénovée pour passer de 2 x 4 à 2 x 6 et donc raccourcir la durée de la traite
Un vieil épandeur a été transformé pour distribuer la ration complète. Bien que rustique, il donne toute satisfaction