ALLONGER LA LACTATION : UNE STRATÉGIE QUI SEMBLE PAYANTE

En allongeant les lactations, on réduit le nombre de vêlages et donc les risques qui y sont associés (santé, problèmes de fécondité).© CLAUDIUS THIRIET
En allongeant les lactations, on réduit le nombre de vêlages et donc les risques qui y sont associés (santé, problèmes de fécondité).© CLAUDIUS THIRIET (©)

Les vêlages groupés tous les dix-huit mois sont testés avec succès à la ferme expérimentale de Trévarez (Finistère). La rentabilité semble s'améliorer.

LES DIFFICULTÉS DE REPRODUCTION amènent bien des éleveurs à prolonger involontairement les lactations. Mais cette conduite pourrait aussi être stratégique. Elle a été expérimentée à la station expérimentale des chambres d'agriculture de Bretagne, à Trévarez, en collaboration avec l'Institut de l'élevage. « À la suite des essais réalisés sur le vêlage groupé, nous nous sommes aperçus qu'avec un cycle sur douze mois, nous devions beaucoup réformer pour des problèmes de fécondité, et nous tarissions des vaches produisant encore plus de 20 kg de lait », explique Benoît Portier qui a suivi cet essai. Dans le même temps, l'intérêt du vêlage groupé est évident pour l'organisation du travail. D'où l'idée de le tester sur des lactations plus longues.

Deux lots de vingt vaches holsteins ont été constitués pour comparer le vêlage groupé avec des lactations de douze ou dix-huit mois. Ces vaches ont été sélectionnées sur la base de leur index lait, supérieur à la moyenne. Chaque lot comptait un tiers de primipares. La ration se composait toute l'année de maïs, complété par du soja en début d'essai puis par du colza. Le concentré de production était apporté pendant cent vingt jours avec un maximum de 3 kg par jour. Les troupeaux disposaient aussi de quinze à vingt ares d'herbe pâturée par vache.

L'essai a commencé à l'automne 2005 pour une durée de trois ans. Les vaches du lot devant effectuer une lactation par an (lot 12) ont vêlé à l'automne. Celles qui expérimentaient une lactation de dix-huit mois (lot 18) ont vêlé une première fois en mars 2007, puis à nouveau à l'automne 2008. Elles ont donc été suivies pendant deux lactations, contre trois lactations pour l'autre lot.

LE TP EN NETTE AUGMENTATION

Les observations ont concerné la production bien sûr, mais aussi les aspects techniques et économiques. L'essai est reconduit pour trois années supplémentaires et l'accent sera mis également sur l'environnement. « Les profils de lactation observés sont très différents dans le lot 18 », précise Benoît Portier (voir courbe). Elles couraient sur des saisons différentes, ce qui peut l'expliquer. Néanmoins, il a été jugé utile de prolonger l'essai pour confirmer les résultats. Il s'agit aussi d'observer comment vieillissent les vaches.

On remarque une persistance de lactation intéressante dans le lot 18. Ce qui n'est pas vraiment une surprise. Rares sont les vaches qui se tarissent avant l'heure. La plupart produisent encore 10 à 15 kg/jour au moment du tarissement.

On voit bien que la gestation a un effet négatif sur la lactation. Et les primipares ont une persistance encore plus soutenue. Leur production rejoint celle des multipares vers la quarantième semaine, et la dépasse au bout de soixante-dix semaines (voir tableau). Au final, elles produisent 750 kg de lait de plus que les primipares du lot 12. En revanche, les multipares du lot 18 restent à un niveau inférieur à celui de leurs congénères de l'autre lot. À l'échelle du troupeau, la production annuelle est la même dans les deux lots. Cette tendance est confirmée sur l'étude des lactations de plus de douze mois observées chez les éleveurs adhérents à Bretagne contrôle laitier (près de 90 000 entre 2006 et 2009). On ne constate pas d'écart significatif sur la matière grasse. Mais le TP augmente en fin de lactation dans le lot 18, creusant un écart moyen de 1,4 g/kg avec le lot 12. Avec des lactations allongées, le pic de production est écrêté au printemps alors qu'il reste marqué en automne. La suite de l'essai devrait permettre de comprendre pourquoi.

Sur le plan de la santé, les différences restent mitigées. La fréquence des problèmes est identique dans les deux lots par lactation. Mais on compte moins de problèmes chaque année dans le lot 18. Les mammites notamment sont plus rares. Un phénomène à relier à un nombre de vêlages plus faible. En revanche, les boiteries sont plus fréquentes dans le lot 18. Ceci peut être dû à une présence plus longue en bâtiment. Les vaches du lot 12 sortent en pâture l'été pendant le tarissement.

DES VACHES QUI VIEILLISSENT DAVANTAGE

Au bout de trois ans, on constate que les deux tiers des vaches sont encore présentes dans le lot 18, contre un tiers seulement dans le lot 12. Les taux de réforme ont été nettement moins élevés. En effet, le manque de fécondité est une cause majeure d'élimination des animaux en vêlages groupés. Or, les performances de reproduction s'améliorent pour les vaches aux lactations allongées (voir tableau) avec un taux de réussite à l'insémination nettement meilleur.

Cette tendance peut surprendre alors que dans les élevages, les inséminations tardives sont souvent moins efficaces. Mais dans ce cas, les vaches décalées sont souvent justement celles qui rencontrent des problèmes de fécondité. Dans le cas de l'essai, les vaches sont volontairement inséminées tardivement. Elles ont alors passé le cap du déficit énergétique et elles ont recommencé à prendre de l'état. Il est logique que leur fertilité soit améliorée.

En outre, en réduisant le nombre de vêlages, on diminue mécaniquement le risque de réformer des vaches pour cause d'infécondité puisqu'il y a moins de périodes critiques. On gagne donc sur les deux tableaux. Dans le lot 12, les animaux de réforme pour infécondité ont concerné six vaches par an, contre six à la première saison d'IA et trois à la deuxième dans le lot 18.

Cette meilleure longévité doit avoir un effet économique positif. Si cette tendance vers un taux d'animaux de réforme limité se maintient, les besoins en génisses de renouvellement vont baisser. Le nombre d'UGB et donc les frais d'élevage, de reproduction et de santé vont suivre. Le besoin en surface fourragère diminuera aussi, ce qui permettra d'augmenter la surface en culture de vente. L'efficacité économique de l'exploitation devrait donc s'améliorer.

« À terme, nous devrons réformer des vaches de ce lot pour cause de vieillesse », souligne Benoît Portier. La poursuite de l'essai sera intéressante sur ce plan car déjà, les vaches qui ont débuté il y a plus de quatre ans semblent fatiguer. Le taux de réforme va probablement remonter en raison de faiblesses dans les mamelles et les membres. Reste à savoir s'il restera inférieur à ce qui est observé avec des vêlages tous les douze mois.

Autre élément positif sur le plan économique, les vaches produisent une grande part de leur lait avec une ration relativement peu coûteuse, puisque le concentré de production est interrompu au bout de quatre mois. Le coût alimentaire est donc plus faible.

La hausse du TP laisse espérer une meilleure valorisation du lait. En revanche, le produit viande baissera avec le nombre d'animaux vendus.

La poursuite de l'essai permettra de réaliser un bilan chiffré. Mais on peut d'ores et déjà affirmer que conduire un troupeau pour vêler tous les dix-huit mois est techniquement réalisable, tout en étant rentable.

PASCALE LE CANN

En allongeant les lactations, on réduit le nombre de vêlages et donc les risques qui y sont associés (santé, problèmes de fécondité).

© CLAUDIUS THIRIET