A UNE TRENTAINE DE KILOMÈTRES DE LA FRONTIÈRE BELGE, le Gaec du Bois Lecomte est collecté par Milcobel, une coopérative belge pesant 1,4 milliard de litres. Au cours des mois de mai, juin et juillet, les associés ont perçu un prix standard de 202,50 €/1 000 litres. Il était de 210 € en avril, 220 € en mars, 230 € en février et 241 € entre septembre 2015 et janvier 2016. « À l'inverse, nous avons perçu un prix moyen de 407€/1 000 litres lors de la campagne 2013-2014, indique Maurice De Deken. Les prix pratiqués en Belgique sont en effet très réactifs, à la hausse comme à la baisse. Mais par rapport au prix français, nous avons beaucoup de retard à rattraper. » Au mois d'août, un frémissement à la hausse s'est fait ressentir avec un prix standard qui passe à 230 €.
Concrètement, comment font les trois associés pour s'adapter à cette extrême volatilité ?
Tout d'abord, ils ont su profiter du prix élevé de la campagne 2013-2014 pour mettre de la trésorerie de côté qu'ils réinjectent cette année dans l'exploitation, sans recourir aux emprunts à court terme. Par ailleurs, ils ont adopté une stratégie économe qui repose sur la qualité des fourrages.
« MOINS DE 100 G PAR LITRE DE CONCENTRÉ GRÂCE AU PRÉFANÉ »
« Même lorsque le prix du lait est plus élevé, ils ne modifient pas leur conduite, analyse Benjamin Decherf, conseiller d'Avenir Conseil Élevage. L'objectif n'est pas de maximiser la production par vache (voir tableau), mais le lait produit à partir des fourrages, avec une consommation de concentré qui reste comprise entre 80 et 100 g/litre. » En matière de rationnement, les associés s'inspirent de la méthode de la région flamande, dont ils sont originaires : « Une ration sans paille, ni foin pour les laitières, mais avec un ensilage d'herbe préfané intégré en quantité suffisante pour faire ruminer et assez riche pour faire du lait. »
En moyenne, les ensilages d'herbe récoltés, issus de prairies permanentes et des couverts de ray-grass italien-trèfle, affichent une valeur de 0,9 UF, un minimum de 14 % de MAT et 40 à 45 % de MS. Fin novembre, à l'heure de rentrer à l'étable, le troupeau est scindé en deux lots : les vaches en début de lactation et à haut niveau de production ont une ration complète sans concentré de production, composée de 50 % de maïs, 25 % d'ensilage d'herbe, 15 % de racines d'endives, 10 % de pulpe surpressée et 4 à 4,5 kg de correcteur (soja-colza). Les vaches plus avancées en lait ont jusqu'à 75 % de préfané et 2 kg de correcteur.
Au pâturage, le troupeau de 90 vaches est conduit en un lot. « Les vaches sortent vers le 15 mars, d'abord sur les couverts de ray-grass italien-trèfle, puis à partir du mois de mai, jour et nuit sur 25 ha de prairies permanentes accessibles », explique Maurice De Deken.
« ZÉRO CORRECTEUR À PARTIR DE 250 G D'URÉE »
Le silo n'est pas fermé. Une part de la ration de base est distribuée à l'auge en fonction de l'herbe disponible. Le taux d'urée du lait permet de piloter la complémentation, avec un seuil de 250 g qui autorise la suppression du correcteur azoté. « La stratégie s'avère payante et appelle à mieux s'imprégner de la culture de l'herbe puisque la performance économique du Gaec reste supérieure au groupe, même avec un prix du lait beaucoup plus bas », commente Benjamin Decherf. Le taux de réformes de 26 % et les vêlages à deux ans participent également à contenir les coûts.
Forts de cette maîtrise des charges opérationnelles, les associés profitent de la politique très libérale de leur coopérative pour saturer la stabulation à 110 % et ainsi diluer le coût des charges de structure (84 logettes pour 90 vaches). En effet, Milcobel collecte tous les volumes sans limites, ni prix différenciés. Pour autant, face à un prix à ce point détérioré, la justesse technique ne suffit pas. « Si nous pouvons tirer un revenu cette année, c'est grâce à l'atelier volaille, car on ne peut pas non plus miser sur nos 25 vaches allaitantes », souligne Maria De Deken.
JÉRÔME PEZON