UTILISER LES MARCHÉS POUR NE PAS SUBIR LES FLUCTUATIONS DE PRIX

Le cours sur le marché à terme ne correspond pas à celui au départ de la ferme. Pour connaître le prix auquel l'agriculteur sera réellement payé, il doit déduire sa « base ». Ce terme désigne la différence entre le cours du marché à terme et celui du marché local. En moyenne, cette base s'élève à 25 €/t.© CHRISTIAN WATIER
Le cours sur le marché à terme ne correspond pas à celui au départ de la ferme. Pour connaître le prix auquel l'agriculteur sera réellement payé, il doit déduire sa « base ». Ce terme désigne la différence entre le cours du marché à terme et celui du marché local. En moyenne, cette base s'élève à 25 €/t.© CHRISTIAN WATIER (©)

Pour se couvrir contre la forte volatilité des cours des matières premières, les agriculteurs peuvent se positionner sur le marché physique à livraison différée ou sur le marché à terme.

L'ENVOLÉE DU PRIX DU BLÉ en septembre 2007, atteignant un record historique à 300 €/t, puis sa chute brutale à 120 € en décembre 2008 illustrent parfaitement la forte volatilité à laquelle sont soumis les marchés des matières premières depuis quelques années. En cause : la réforme de la Pac, le désengagement des pouvoirs publics dans la gestion des marchés et les accords de l'OMC (Organisation mondiale du commerce) qui ont eu raison de tous les mécanismes de soutien des prix. Ces fluctuations deviennent une vraie menace pour tous les acteurs des filières agricoles, et particulièrement pour les agriculteurs lorsqu'ils achètent leurs tourteaux ou vendent leurs céréales. Pour ne pas subir en permanence ces amplitudes de prix, ils peuvent se couvrir en se positionnant sur le marché physique à livraison différée ou sur le marché à terme.

Se former. Un préalable indispensable

Première étape indispensable, les agriculteurs doivent suivre une formation pour bien appréhender les mécanismes de fonctionnement des marchés physique et à terme. Plusieurs structures sont capables de les former. Parmi elles, le réseau Capmarchés, créé par plusieurs chambres d'agriculture, qui dispense des sessions de formation dans une quinzaine de départements.

Les agriculteurs peuvent aussi se tourner vers des structures privées, comme les sociétés Agritel, ou Offre et demande agricoles. Ces formations ont généralement une durée de deux à quatre jours. Le but est de permettre à l'agriculteur de gérer son risque de prix, d'analyser l'information des marchés agricoles, de comprendre les mécanismes des marchés à terme et de mettre en oeuvre des stratégies de commercialisation adaptées à son exploitation dans un contexte donné. Des exercices pratiques fondés sur des situations réelles leur permettent d'approfondir et de maîtriser le sujet. Le coût n'est pas un frein. Ces formations peuvent être financées, en grande partie, par Vivéa et les gains potentiels peuvent rapidement amortir les frais. Par ailleurs, avant toute ouverture d'un compte « marché à terme », les organismes bancaires exigent qu'au préalable, l'agriculteur ait suivi une formation.

Analyser le marché avant de se positionner

Avant d'utiliser ces deux instruments, l'agriculteur doit être en mesure de réaliser une lecture de la situation du marché sur lequel il souhaite se positionner afin de définir une tendance et anticiper un prix. Deux outils complémentaires vont lui permettre de décrypter un marché :

L‘analyse fondamentale, c'est l'observation de tous les paramètres qui font fluctuer un prix : prévisions de production, de consommation, parité euro-dollar, ou encore cours du pétrole. « Cette analyse a pour but de prévoir l'évolution du stock final d'une matière première au fur et à mesure del'avancée de la campagne grâce aux informations disponibles et à nos modèles de prévisions », explique Mathieu Pacton, d'Offre et demande agricoles.

L'analyse technique, également appelée analyse chartiste, consiste en l'étude des graphiques historiques des cours pour prédire des tendances et des signes de retournement des marchés. Utilisant pour une large part les statistiques, cette méthode permet de déterminer des potentiels de hausse ou de baisse des cours.

Dans les faits, les agriculteurs n'ayant ni le temps ni les informations à leur disposition pour réaliser ces analyses, la plupart d'entre eux adhèrent à des lettres d'informations délivrées par des structures de conseil pour décrypter l'ensemble des marchés. Par exemple, on trouve la société Agritel et le réseau Capmarchés qui proposent une lettre d'informations hebdomadaire, dont le coût de l'abonnement annuel s'élève à 300 euros.

Opter pour le marché à livraison différée

Pour ses achats de tourteaux, l'éleveur ne peut que se positionner sur le marché à livraison différée, s'il ne veut pas subir les fluctuations des cours au jour le jour. En effet, il n'existe pas de marché à terme pour cette matière première en Europe (seulement un à Chicago). Quant à ses céréales, il doit toujours tenter, dans un premier temps, de les vendre sur ce marché à livraison différée, appelé forward. Il correspond au marché local, c'est-à-dire à celui réalisé avec son négociant ou sa coopérative. Le principe est simple : un vendeur et un acheteur s'accordent sur une quantité et une qualité de marchandise, avant qu'elle soit disponible, pour un prix et une date de livraison fixés à l'avance. Il se différencie du marché au comptant où les marchandises sont échangées physiquement pour une livraison immédiate.

Par exemple, le tourteau de soja disponible à la mi-décembre vaut 312 €/t. Un éleveur a la possibilité d'anticiper ses approvisionnements futurs car les prix dans les mois à venir sont déjà connus. Ainsi, un contrat pour un 3 de février est proposé au prix de 284,50 €/t. Il correspond à une livraison physique durant trois mois à partir de février. Tandis qu'un 6 de mai 2010 (pour une livraison durant six mois entre mai et octobre) est proposé au prix de 252,50 €/t. « En fonction de l'analyse de marché et des tendances de prix, si l'éleveur pense que le cours de cette matière première risque d'augmenter dans les prochains mois, il peut choisir dès aujourd'hui d'acheter un contrat pour une livraison future », explique Gautier Le Molgat, consultant à Agritel

Se couvrir grâce au marché à terme

Pour les céréales, le positionnement sur le marché à terme se fait souvent par défaut. L'agriculteur veut sécuriser son prix de vente plusieurs mois avant la récolte, mais sa coopérative ou son négociant ne souhaitent pas lui garantir un prix grâce au marché physique à livraison différée.

Dans un premier temps, l'agriculteur vend donc une partie de sa récolte sur le marché à terme grâce à des contrats. Puis, lorsque sa coopérative ou son négociant lui proposent un prix sur le marché local, il leur cède réellement son grain. Et pour ne pas vendre deux fois sa récolte, il déboucle sa position sur le marché à terme, cette fois-ci en rachetant ses contrats. Ces opérations de vente puis d'achat ne débouchent donc pas sur une livraison. En revanche, sur le plan financier, elle donne lieu à une plus ou une moins-value (voir infographie).

Par exemple, à la mi-décembre 2009, le cours du blé à échéance novembre 2010 cote à 140 €/t. Attention, ce cours ne correspond pas à celui au départ de la ferme. Pour connaître le prix auquel sera réellement payé l'agriculteur, il doit déduire sa « base ». Ce terme désigne la différence entre le cours sur le marché à terme et celui sur le marché local. En moyenne, cette base s'élève à 25 €/t. Une fois déduite, l'agriculteur touchera donc en théorie 115 €/t.

« En ce moment, la tendance sur le marché du blé n'est pas très optimiste et on prévoit une baisse des cours dans les prochains mois plutôt qu'une hausse, analyse Gautier Le Molgat. Un agriculteur a donc intérêt à sécuriser son prix de vente dès aujourd'hui en vendant une partie de sa récolte sur le marché à terme. »

Deux hypothèses se présentent au moment où l'agriculteur aura réellement la possibilité de vendre sa récolte à sa coopérative ou à son négociant.

Le cours du blé a entretemps baissé, et l'agriculteur a la possibilité de vendre sa récolte à 95 €/t. Les cours sur le marché à terme et local étant nettement corrélés, l'échéance novembre 2010 a elle aussi baissé et cote 120  compte tenu d'une base de 25 €/t. L'agriculteur rachète ses contrats sur le marché à terme et empoche une plus-value de 20 €/t, qui représente la différence entre 140 et 120 €/t. Ajouté au prix de vente sur le marché local de 95 €/t, il vend donc son blé à 115 €/t.

Le marché est reparti à la hausse et la coopérative ou le négociant lui propose d'acheter son blé à 135 €/t. L'échéance novembre 2010 sur le marché à terme a aussi évolué à la hausse et vaut 160 €/t. L'opération de vente puis celle d'achat sur le marché à terme aboutissent cette fois-ci à une moins-value de 20 €/t. Au final, l'agriculteur touche la somme de 115 €/t (135 - 25 €/t). Cette deuxième hypothèse n'est pas favorable à l'agriculteur. Pour l'éviter, celui-ci peut réaliser une vente optionnelle. Elle lui permet de ne pas racheter ses contrats dans le cas où le prix de la matière première remonte. Mais cette option a un coût : environ 10 €/t.

NICOLAS LOUIS

Le cours sur le marché à terme ne correspond pas à celui au départ de la ferme. Pour connaître le prix auquel l'agriculteur sera réellement payé, il doit déduire sa « base ». Ce terme désigne la différence entre le cours du marché à terme et celui du marché local. En moyenne, cette base s'élève à 25 €/t.

© CHRISTIAN WATIER