PLUS ACTUELLE QUE JAMAIS vu la conjoncture laitière, la question des coûts revient régulièrement dans les élevages.
À chaque renouvellement de matériel, à la suite d'aléas climatiques, dans le cadre de l'adoption de nouveaux cahiers des charges, les mêmes interrogations surgissent : est-ce que je réinvestis avec la Cuma dans une ensileuse à coupe fine ou est-ce que je fais de l'enrubannage ? Quel sera l'impact financier de l'arrêt de l'ensilage d'herbe et du passage en foin enrubannage ? Du fait des rendements aléatoires, n'ai-je pas intérêt à abandonner le maïs ? En Rhône-Alpes, où une proportion importante d'élevages mène de front plusieurs chaînes de récolte, les éleveurs s'interrogent également sur la place « nécessaire » de l'ensilage d'herbe dans les systèmes herbe-maïs. Il existe bien des références permettant d'approcher les coûts des fourrages : des moyennes à l'hectare sont ainsi disponibles par le biais des réseaux Cuma (barème d'entraide). Souvent incomplets, ces chiffres sont difficilement transposables compte tenu de la diversité des systèmes d'exploitation en place. Dans soixante-trois élevages rhône-alpins représentatifs de la diversité des systèmes d'exploitation de la région, les coûts de production des fourrages ont été analysés finement. Réalisée dans le cadre du Pôle d'expérimentation et de progrès bovins lait Rhône- Alpes, avec l'appui de l'Institut de l'élevage, l'enquête approfondie a été menée dans des élevages de l'Isère, de la Loire et du Rhône, situés en zones de plaine, de coteaux et de moyenne montagne. Les exploitations ont été sélectionnées selon leur système fourrager (maïs dominant(1), herbe-maïs et tout herbe), le matériel utilisé pour récolter l'herbe en première coupe (ensileuse automotrice, autochargeuse, ensileuse traînée, enrubanneuse), et le mode de propriété des équipements (individuel, Cuma, copropriété). Dans chacun de ces élevages, les coûts des fourrages ont été décortiqués à partir des chiffres de la comptabilité, puis ramenés à la tonne de MS utilisée. Pour affecter facilement les charges de structure(2), seuls les élevages laitiers spécialisés ont été retenus. Les exploitations disposant d'un atelier taurillons ont été exclues.
33 €/T DE MS POUR UN PÂTURAGE BIEN VALORISÉ
À l'issue de l'étude, la hiérarchie des coûts moyens se confirme. Ainsi, à condition qu'elle soit bien valorisée (plus de 2 t de MS/ha), l'herbe pâturée constitue le fourrage le moins onéreux : 33 €/t de MS en système tout herbe, 42 € en système herbe-maïs (soit la moitié du coût du maïs et un tiers de celui de l'ensilage d'herbe), mais 83 € dans les systèmes à « maïs dominant » qui lui accordent peu de place. Des surfaces d'herbe surdimensionnées ou mal valorisées renchérissent le coût du pâturage. C'est le cas quand les animaux disposent de 30 ares de pâture et de 10 kg de MS de maïs. « L'utilisation d'un tracteur non amorti pour apporter l'eau aux vaches contribue de la même façon à accroître les charges liées au pâturage », constate Monique Laurent, de l'Institut de l'élevage Rhône-Alpes. Dans les trois systèmes, l'herbe pâturée est suivie par ordre de coût croissant, par l'ensilage de maïs (quand il est présent), le foin au sol, l'ensilage d'herbe et les balles rondes enrubannées.
Autre confirmation pointée par l'enquête : le matériel pèse lourd. Quels que soient les systèmes fourragers, la part de la mécanisation comprise dans les coûts de production-récolte et de distribution représente entre 55 à 65 % du coût total des ensilages, et entre 60 à 70 % du coût du foin au sol et de l'enrubannage. Les coûts liés à la distribution du fourrage ne cessent d'augmenter avec l'évolution du matériel présent dans les exploitations. Ils représentent 15 à 20 % des coûts moyens pour l'ensilage. La part de la traction dans la mécanisation est déterminante. Elle constitue 50 % des coûts de l'ensilage d'herbe (60 % pour le foin, et 65 % pour l'enrubannage). Les éleveurs ont donc intérêt à se demander si le tracteur utilisé est bien adapté au fourrage récolté.
CERTAINS COÛTS DIFFICILES À ANALYSER
« Le poste mécanisation, note Monique Laurent, reste malgré tout difficile à analyser. Outre l'impact de la structure foncière de l'exploitation sur le coût du transport, certains équipements pèsent d'autant plus lourds qu'ils sont liés à des investissements récents. Des stratégies fiscales, intéressantes pour l'exploitation, peuvent avoir une répercussion négative sur le coût des fourrages. De même, le coût de stockage est délicat à interpréter. Faible en moyenne, il est variable car il recouvre des situations différentes selon que les ouvrages sont amortis ou non. »
Dans le cadre de l'étude rhône-alpine, les critères explicatifs de la variabilité des coûts ont été analysés. Ils diffèrent selon les fourrages. Pour le maïs, le rendement par hectare est déterminant. Quelle que soit la quantité produite, les coûts de production de cette culture varient peu. En ce qui concerne l'ensilage d'herbe, la quantité globale récoltée, puis le coût de la traction (plus élevé sur une prairie de courte durée) constituent les facteurs essentiels.
Faire un petit chantier nécessitera un silo et une bâche quasiment identiques à la réalisation d'un tas plus gros. Étroitement lié aux tonnages récoltés, le coût de l'enrubannage dépend des surfaces productives et du rendement. Un écart de coût important est constaté entre un enrubannage réalisé en première coupe et un surplus de pâture enrubanné en fin d'automne. Pour le foin au sol, où l'on note des écarts de coût allant de 1 à 5 (au sein d'un même système tout herbe), aucun critère prépondérant n'a pu être mis en évidence. « Les chaînes de récolte et la part du foin dans les différents systèmes sont trop hétérogènes. ».
DES ÉLEVAGES ÉCONOMES DANS TOUS LES SYSTÈMES
Quel que soit le type de fourrage, une tendance générale à la diminution du coût est observée dès que le volume récolté augmente, jusqu'à un certain seuil toutefois. Au-delà, la nécessité d'avoir des équipements plus performants, donc plus coûteux, le recours à une main-d'oeuvre extérieure ou à des travaux par tiers et une moindre maîtrise technico- économique augmentent les coûts. Avant d'envisager d'investir dans une nouvelle chaîne de récolte, il est préférable de valoriser à plein les chaînes existantes.
Quel que soit le type de fourrage, des élevages « économes » se distinguent à l'intérieur d'un même système. Ce qui laisse entrevoir des perspectives de progrès pour les exploitations les moins bien placées. À l'exception de ceux de l'enrubannage, les coûts se suivent dans les exploitations : un élevage économe en ensilage de maïs a toutes les chances de l'être en ensilage d'herbe. Les références collectées dans le cadre de l'étude constituent une précieuse base de données pour les éleveurs soucieux de réduire le coût de production de leur fourrage. En utilisant ces repères ou en comparant leurs propres chiffres, les agriculteurs peuvent s'interroger plus facilement sur leurs marges de manoeuvre. Un exercice plus nécessaire que jamais sans cette conjoncture difficile.
Élément de décision incontournable, le coût n'est toutefois en pas le seul critère à prendre compte dans l'adaptation des systèmes fourragers et des chaînes de récolte. Le temps de travail, la souplesse d'exploitation, le parcellaire et les capacités en bâtiments constituent des éléments dont il faut tenir compte. L'enrubannage sera ainsi retenu faute de stockage adapté pour le foin. « Partout où c'est possible, résument les auteurs de l'étude, le pâturage doit être valorisé. Le fourrage qui offre le meilleur rapport “rendement annuel/sécurité” sera ensuite privilégié s'il est adapté aux performances du troupeau. »
ANNE BRÉHIER
(1) Plus de 3 tonnes de matière sèche de maïs par vache et par an ou 60 à 90 % de la ration distribuée une bonne partie de l'année. (2) Les charges de fermage, de MSA et la main-d'oeuvre de l'éleveur n'ont pas été comptabilisées.