Génisses : gare au concentré donné en une seule fois

Ne pas séquencer et avoir des repas très différents matin et soir peut être dramatique pour des jeunes ruminants.

Simplifier l’alimentation des jeunes animaux en leur distribuant trop de concentré en une fois peut être très risqué. Témoin, ce cas auquel j’ai été récemment confronté : dans un lot de huit génisses entre 6 et 12 mois, deux d’entre elles, les plus petites, ne poussent pas. Quand les plus lourdes arrivent à plus de 200 kg, les deux autres maigrissent, présentant des robes non organisées, un ventre tombant et une diarrhée. L’appel de l’éleveur a été motivé car la plus faible ne peut même plus se lever.

Le tableau est catastrophique : maigreur proche de la cachexie, anémie, peau sèche, bouses très fluides avec odeur non digérée. À l’évidence, ces deux animaux n’assimilent plus. Les signes évoquent parasitisme, coccidiose, strongylose à la suite d’un passage rapide à l’herbe, maladie des muqueuses, dysenterie hivernale ­atypique. Deux animaux étant atteints, des analyses ­larges sont lancées et la maladie des muqueuses est envisagée malgré le statut qualifié de la ferme.

Un dysfonctionnement du rumen évident

Le bon sens fait vérifier les paramètres de l’élevage de ce lot. Des souillures, surtout en partie inférieure, indiquent, d’après la croix du grasset, une forte incidence du régime alimentaire, ce que va confirmer l’épaisseur des galettes de bouse à 3 cm (lire L’Éleveur ­laitier de décembre 2015).

Elle signe une très mauvaise digestion et un dysfonctionnement du rumen. Le peu de souillures en zone postérieure dédouane la surface ou le nombre de places à l’auge. En effet, le paillage est abondant, les places au cornadis et l’espace suffisants, et les conflits entre animaux inexistants.

Les génisses sont nourries au foin à volonté, très fibreux, et concentré fermier avec des granulés de VL, une fois par jour, 1,8 kg par tête, une pratique courante. L’odeur des bouses signe cependant bien un désordre ruminal dramatique pour les deux plus faibles. Une forte instabilité ruminale est mise en évidence par le diagnostic Obsalim. Seule l’offre des concentrés en un seul repas peut l’expliquer. D’autant que donner 1,8 kg de concentré à des génisses de ce poids équivaut à plus de 7 kg pour des vaches laitières de 700 kg !

Retour à deux repas et moins de concentré

Ma proposition de revenir à une distribution du concentré en deux repas par jour avec seulement 500 g par repas du même mélange est acceptée par l’éleveur. Ainsi, les animaux n’auront plus 1,8 kg, mais 1 kg de concentré par jour. Un test de quelques jours avec distribution réduite matin et soir, en vérifiant que tous mangent, permet aux plus grosses génisses de récupérer des bouses normales et une robe bien organisée. Mais les deux plus faibles ne répondent pas au bout de quatre jours, amenant le doute. Un réensemencement liquide de la flore ruminale sans autre remède remettra finalement en route l’assimilation. La vitalité des deux génisses finit par revenir, les bouses fermes aussi… Les résultats des recherches ne montrent rien de significatif. De ce cas, retenons que dans le rumen, la flore cellulolytique ne peut pas se sélectionner, ni se stabiliser si les principaux repas ne sont pas séquencés matin et soir, et identiques. Cela peut être dramatique pour de jeunes ruminants. Pour des vaches laitières, l’instabilité des repas matin et soir induit au minimum de la sous-production. Même si tous les paramètres sont contrôlés par le calcul ou par la pesée des aliments distribués, c’est l’équivalence de l’ingéré matin et soir qui permet l’entretien, la sélection et le développement des populations cellulolytiques. Les libre-services ou les simplifications arbitraires de ce contrôle de régularité piègent bien des troupeaux et mettent en difficultés l’état sanitaire ou la trésorerie. Si un robot de traite vient compliquer l’affaire en imposant des séquences alimentaires variables, la régulation de la physiologie ruminale peut devenir complexe pour adapter la production au potentiel réel de la ration distribuée.