Un élevage laitier de plus de 200 vaches a été confronté à un épisode de mortalité brutale sur ses veaux à la fin janvier 2021. Plusieurs animaux, âgés d’une bonne semaine, sont morts sans présenter de symptômes avant-coureurs, selon les éleveurs. Ayant pris un repas de lait au seau à tétine normalement la veille au soir, ils ont été retrouvés morts le lendemain matin.
À mon arrivée, en fin d’après-midi, je découvre deux veaux morts et un troisième à l’agonie. Les veaux sont logés dans des niches individuelles avec courettes, partiellement sous abri sur une zone bétonnée dédiée. La zone est propre et les niches, nettoyées et désinfectées entre chaque veau, sont correctement paillées.
L’examen extérieur des deux cadavres montre une énophtalmie (enfoncement de l’œil dans l’orbite) prononcée qui m’incite immédiatement à observer l’arrière-train. Celui-ci, totalement propre et sec, ne présente pas les signes d’une diarrhée, qui expliquerait ce renfoncement de l’œil à la suite d’une déshydratation. Dès lors, ma première idée de diagnostic s’oriente vers une septicémie d’origine digestive et/ou ombilicale, entraînant une déshydratation importante sans diarrhée, puis une mort rapide.
Le veau à l’agonie est en hypothermie. Il présente la même énophtalmie, sans congestion des muqueuses oculaires, ni dilatation des vaisseaux sanguins de la sclérotique (blanc de l’œil), classiquement retrouvées lors de septicémies.
Ces observations ne sont pas franchement compatibles avec une épidémie de morts subites par septicémie, sans symptômes annonciateurs, dans un environnement qui semble maîtrisé. De plus, la gestion de la prise du colostrum, revue quelques années auparavant, est toujours appliquée par les éleveurs.
Ces veaux semblaient morts en bonne santé !
L’autopsie du premier veau ne présente pas la moindre anomalie. Celle du deuxième ne se montre pas plus « bavarde », et je me retrouve sans explication rationnelle à la mort de ces animaux. Ces deux veaux semblent morts en bonne santé ! En prenant un peu de recul, je me rends compte que les veaux sont maigres, et en replongeant dans les autopsies, j’observe l’absence de graisses périrénales et intra-abdominales. De plus, l’arrière-main est très maigre, les os du bassin et les fémurs faisant saillie sous la peau. Aucun doute, les veaux sont cachectiques. Ils sont morts de faim, après avoir consommé leurs graisses de réserve et leurs muscles afin de trouver les nutriments nécessaires à leur survie. Dès lors, je questionne l’éleveur sur son plan d’allaitement. Il m’indique qu’après l’administration des 4 l de colostrum, les veaux reçoivent, deux fois par jour, 2,5 à 3 l de lait entier.
Il fallait au moins 8,5 litres de lait par jour
Les besoins énergétiques quotidiens du veau pour son entretien sont de 50 kcal par kilo de poids vif, soit 2 250 kcal/j pour un veau de 45 kg. La croissance du veau nécessite 3 kcal par gramme de GMQ, soit 2 700 kcal supplémentaires pour un gain de 900 g par jour.
L’apport énergétique du lait entier est de 750 kcal/l ; dès lors, 3 l sont nécessaires pour assurer les besoins d’entretien et 4 l de plus permettront la croissance du veau, soit 7 l de lait par jour.
Dans le cas présent, les veaux reçoivent 5 à 6 l de lait par jour, ce qui ne permet pas d’expliquer l’amaigrissement, la cachexie et la mort des veaux en seulement 8 jours. Certes, la météo froide et très humide en cette fin janvier explique en partie la situation. À 0 °C, les besoins d’entretien sont augmentés de 50 % pour les nourrissons, ce qui nécessiterait un apport complémentaire de 1,5 l de lait, soit un total de 4,5 l rien que pour les besoins d’entretien.
Mais le nœud du problème se situe dans l’origine du lait apporté aux veaux. Il s’agit de lait issu des vaches à cellules et/ou en cours de traitement pour mammites cliniques. Il faut savoir que la composition de ce lait, issu de mamelles infectées et enflammées, est totalement différente. Il est moins riche en lactose et en matières grasses, ce qui réduit fortement sa densité énergétique. De plus, son pH, plus élevé, perturbe la formation du caillé donc sa digestibilité et sa valorisation par l’animal. Le passage à la poudre de lait, présente sur l’exploitation (50 % de PLE à 22 % de protéines), a permis un retour instantané à la normale.