Patrice Moulin, M. Monde collecte de Lactalis« Lactalis veut une solution au prix du lait acceptable pour tous »

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Lactalis a fixé les prix de base de juillet, août et septembre sans l’accord des producteurs. En août, il a activé la clause de sauvegarde du contrat-cadre qui le lie à l’Unell. Le groupe invoque, entre autres, des hausses tarifaires insuffisantes sur les PGC France.

Selon nous, le prix payé par Lactalis est inférieur de 12 à 24 €/1 000 l à celui obtenu par la formule de prix contractuelle avec l’Unell. Il y a un mois, vous avez activé la clause de sauvegarde(1). Remettez-vous en cause le contrat ?

Patrice Moulin : La clause de sauvegarde peut être activée dans des circonstances de marché exceptionnelles, qui font que la formule de prix a du mal à vivre. Nous sommes dans cette configuration. Le but est de geler l’état actuel et de se donner deux mois pour trouver une solution acceptable pour les producteurs et Lactalis. Nous voulons retrouver une relation basée sur des accords de prix, mois par mois. Je tiens à souligner qu’à date, la marge des producteurs est préservée. Le prix de base moyen de 410 €/1 000 l versé depuis le début de l’année est en hausse de 23 %, tandis que l’indice Ipampa des coûts de production l’est de 14 à 15 %. De plus, selon votre observatoire, Lactalis est parmi les meilleurs payeurs depuis janvier. La marge des industriels, elle, n’est pas préservée.

Qu’est-ce qui bloque ?

P. M.  : Les hausses tarifaires obtenues de la distribution française sur nos marques et les MDD ne couvrent pas la hausse de nos coûts industriels. Au 31 août, il nous manque plusieurs dizaines de millions d’euros. Nous n’avons pas obtenu les + 18 % demandés en moyenne sur 2022. Nous aurions été en mesure, sinon, de payer un prix du lait plus élevé. En Allemagne, en Italie, en Espagne, les GMS ont accepté des hausses bien supérieures. L’autre point de blocage concerne les produits industriels. La révision des coûts de fabrication pour calculer l’indicateur beurre-poudre est toujours en discussion au Cniel. Pour notre part, en accord avec les OP, nous appliquons les coûts de 2021 publiés par un cabinet. La flambée du prix de l’énergie depuis la guerre en Ukraine n’est pas prise en compte et est à l’origine, là aussi, d’un écart de plusieurs dizaines de millions d’euros par rapport à ce qui est écrit dans la formule de prix. Nous estimons sa partie beurre-poudre surestimée.

Sodiaal est à la traîne sur le prix du lait. Les producteurs vous reprochent d’en profiter pour réduire le vôtre.

P. M.  : Il ne me revient pas de commenter la stratégie de Sodiaal. Néanmoins, cette situation crée une distorsion sur le marché, qui est problématique. On ne peut pas avoir un acteur pesant 25 % du marché qui décroche de 10 % son prix d’achat du lait. Pour autant, je détache totalement cette situation de notre négociation avec les producteurs.

La collecte se tend et les prix du lait sont plus élevés dans les pays voisins. Ne craignez-vous un départ de livreurs vers des laiteries mieux-disantes ?

Ce ne sera pas une vague de fond mais plutôt des comportements individuels de producteurs. En revanche, nous ne nions pas la baisse de collecte même si les prévisions de - 11 % à - 15 % avancées par certains [NDLR :Innoval] dans les trois prochaines années nous semblent pessimistes. Si le prix du lait reste durablement élevé, cela pourrait, par exemple, inciter les éleveurs à investir. Curieusement, cet été, nous n’avons pas encore trop vu de recul de la collecte. Face à la sécheresse, les éleveurs ont « tapé dans les silos ». Il y aura probablement un problème les mois prochains, à moins que l’augmentation des prix dans les rayons n’entraîne une déconsommation. C’est un risque que l’on mesurera en octobre puisque toutes les hausses tarifaires seront effectives. Cette baisse de consommation pourrait amortir le recul de la collecte.

La France reste le premier débouché de Lactalis mais sa part dans le groupe continue de décroître. Que répondez-vous aux producteurs qui s’en inquiètent ?

La France est et restera le premier pays de Lactalis. Au niveau de l’actionnariat, elle reste un pays majeur. Il n’est pas question de s’en désengager au profit d’autres, sous prétexte qu’elle a moins de poids. La preuve : sur les 620 M€ investis en 2021 (hors acquisitions), 200 M€ sont consacrés à la France.

Propos recueillis par Claire Hue

(1) L’Unell a saisi le médiateur le 24 août. Lors du bouclage, il n’avait pas encore rendu son avis.